Quantcast
Channel: Anthologia, petites histoires vues ou entendues en consultation
Viewing all articles
Browse latest Browse all 22

Le sérum de vérité

$
0
0
A l’hôpital, on dispose d’une technique bien rodée pour faire tout avouer au patient.
Toute une équipe se mobilise tout à tour pour le faire parler.
L’externe, l’interne, l’infirmière, l’aide soignante, le chef de clinique et si, par chance, l’hôpital est un CHU, le jeune stagiaire passent dans sa chambre pour lui poser tout un tas de questions.

Souvent, les questions sont les mêmes d’un enquêteur à l’autre. Souvent, le patient est aux toilettes quand l’un d’eux passe le voir. Alors, il y a forcément une personne pour, dans un semblant de respect, faire glisser, un peu, la porte de la salle de bain, constater que le patient est en position délicate, faire mine de s’excuser puis promettre de repasser.

Une fois par semaine, ce beau petit monde se réunit pour colliger toutes les informations recueillies auprès du suspect et tenter de recoller toutes les pièces du puzzle.
Souvent Grandchef décide d’une visite de courtoisie.
Grandchef entre, en général, sans frapper dans la cellule du suspect qui se liquéfie à la vue de la foule qui s’engouffre dans son petit espace. Grandchef impressionne alors les petits stagiaires en découvrant des détails qui avaient, jusqu’alors, échapper à toute l’équipe d’investigateurs.
Devant la haie d’honneur faite à Grandchef, devant la cadre infirmière qui répond discrètement à son DECT dans un coin de la chambre, devant les externes qui tremblent quand Grandchef pose une question, devant un jeune interne qui note scrupuleusement dans un dossier bleu tout ce que dit Grandchef, qui n’aurait pas envie de tout avouer ? (en étant allongé, cul nu dans un lit, devant ce cénacle de blouses blanches de surcroît).

Chez monsieur Skinny, je n’aimais pas rester très longtemps.
« Tu verras, dans sa maison, c’est un peu bizarre. » m’avait précisé le Dr Chouquette.
Alors, je trouvais un dossier de chaise à peu près propre pour suspendre mes sacs, je m’asseyais du bout des fesses sur un coin de fauteuil, je pestais toujours contre ce bol qui débordait d’une substance à demi digérée avec laquelle monsieur Skinny s’alimentait et dans laquelle je trempais allègrement ma manche et mon ordonnancier. Ce truc qui me dégoutait, intérieurement, je le surnommais « la soupe au vomi ».

Chez monsieur Skinny, j’évitais de trop m’attarder. Les murs placardés de haut en bas de femmes minutieusement découpées dans le catalogue de la Redoute me faisaient froid dans le dos. Le poster du dauphin sautillant sous une pleine lune à coté de la bimbo qui se léchait les seins n’étaient guère plus avenants. En regardant bien je distinguais plusieurs couches superposées d’images hétéroclites collectées au fil des ans en guise de papier peint.

Chez monsieur Skinny, je faisais vite fait le renouvellement de son ordonnance. Monsieur Skinny se montrait réticent à faire un bilan sanguin que je finis par lui proposer. Il voulait juste que je lui prescrive ses trois médicaments. Trois médicaments qui ne servaient à rien sauf à maintenir le lien entre lui et moi. Trois médicaments que j’aurais arrêté chez n’importe quel autre patient mais qui permettaient d’apprendre à nous apprivoiser l’un l’autre.

Chez monsieur Skinny, un jour, je ne suis pas allée renouveler ces trois médicaments. C’est une voisine qui m’a prévenue de son hospitalisation. Les docteurs de l’hôpital n’ont pas cherché à joindre ce médecin qui ne faisait sans doute pas grand chose pour lui au vue de son état. Ce médecin qui n’avait pas compris qu’il était en train de se laisser grignoter par un crabe logé dans son œsophage. Ce médecin qui ne s’était pas posé de questions face à la soupe au vomi.

Quand je me rendais chez monsieur Skinny, je n’avais pas de blouse dans laquelle me protéger, pas de milice pour me prémâcher le travail. Juste un stétho dans mon sac, une boule dans mon ventre, un peu de honte et beaucoup d’humilité.

Viewing all articles
Browse latest Browse all 22

Latest Images



Latest Images